France 3. « On se sent comme la cinquième roue du carrosse » – L’Humanité

Alors que les propositions sur l’avenir de France 3 Régions faites par Anne Brucy devraient tomber dans les jours qui viennent, les salariés du bureau de Montpellier s’inquiètent du manque de perspectives.

Montpellier (Hérault), envoyée spéciale. Dans les têtes ou sur les murs, où sont placardés les articles titrant sur leur situation, l’avenir de France 3 Régions qui se dessine au siège de France Télévisions hante les soixante techniciens et quarante-cinq journalistes du bureau de Montpellier. Deux mots reviennent avec insistance: « gâchis » et donc « frustration ». « On possède un outil formidable, mais quand on voit ce qu’on en fait… on pleure, nous dit un journaliste, attablé à son poste. La qualité n’est plus le critère. On fait du remplissage. » Les moyens, ils les ont, assurent-ils tous. Ils leur permettent même de bénéficier d’un studio de plus d’un million d’euros et d’une vingtaine de caméras. Le hic? Le manque de créneaux horaires et donc de confiance et d’autonomie. De mois en mois, rediffusions et invités en plateau ont remplacé leurs magazines.

« Bateau à la dérive »

Et, à quelques jours du rendu du rapport d’Anne Brucy, il y a comme un air de désenchantement. Surtout lorsqu’ils entendent Thierry Langlois, PDG de l’antenne démissionnaire en avril, invoquer que « France 3 est une chaîne nationale à vocation régionale ». « On sent bien qu’on est la cinquième roue du carrosse », souligne Thierry Will, délégué syndical SNJ. Les JT régionaux contribuent en bonne partie à l’audience de France 3. Alors, à Montpellier, on comprend mal ces contradictions. « Heureusement que l’on garde la passion de la locale. Je n’ai pourtant jamais vu autant de journalistes désireux de partir », nous dit Émilien, qui parle de « bateau à la dérive ». « Qu’on considère déjà que France 3 n’est pas le boulet du groupe, souligne, quant à elle, Sandrine. On nous fait culpabiliser du prix des déplacements, de la monopolisation d’un technicien pour deux jours de tournage… alors on fait tout au minimum, mais ça ne colle pas à notre métier. »

À trop vouloir rivaliser avec France 2, France 3 perd de son identité et donc de sa légitimité, selon les journalistes. Arrive alors un sentiment général d’une mort à petit feu orchestrée par la direction pour plomber les audiences et avoir un prétexte pour couler la boîte. « On a une vraie mission: montrer cette France qui souffre que l’on connaît car on vit, on travaille, ici. Servonsnous de ce réseau de journalistes de terrain pour réaliser des sujets avec d’autres rédactions », propose son confrère Alexandre. Tous ont la sensation d’être la « variable d’ajustement » du groupe, selon Thierry Will, depuis la suppression de la publicité et la baisse des budgets. Ça passe par les non-remplacements mais aussi par la fermeture des rédactions locales pendant les vacances scolaires, les ponts… y compris pendant le premier tour des municipales. « Il a fallu que l’on bataille pour faire comprendre que ce n’était pas envisageable! » s’indigne Thierry Will. Les problèmes de financement, les salariés ne les nient pas. Seulement, « on déshumanise la gestion des salariés », regrette-il. « On a maintenu dans la précarité pendant des années six CDD et, parce qu’on fixe un jour l’objectif “zéro CDD”, la direction les lâche », s’insurge le syndicaliste. Prochaine échéance test : la vague de nouveau matériel qui déterminera « où se placeront la pérennité et l’ambition de la chaîne », juge un cadre technique de la maison. Et là, le spectre du journaliste « à la BFM », avec l’idée de polyvalence, entre en jeu. Une perspective qui n’augure rien de bon non plus du côté des monteurs. Pour Laurence, c’est une « remise en cause complète » de son métier qui consiste à « apporter un recul », étant « le premier spectateur du reportage ». « On ne voit pas où on en est, ni où on veut aller », ajoute sa collègue Béatrice. Au final, le sentiment d’«asphyxie» prend le dessus, disent-elles.

Audrey Lassouarn

Quel avenir pour la chaîne ?
Rapport ministériel. Aurélie Filippetti a commandé un rapport à Anne Brucy, sur l’avenir de France 3, qui devrait engager la chaîne pour les prochaines années.

 À quoi sert France 3 ? Les dirigeants de France Télévisions et les ministères de la Culture successifs ne cessent de se poser la question, sans véritablement trancher. Est-elle encore une chaîne « régionale » ? Que recouvre ce mot ? Surtout lorsque lesdits programmes se résument, ou presque, aux éditions locales et régionales des journaux télévisés ? En octobre dernier, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a commandé une mission à Anne Brucy, ex-directrice de France Bleu et de France 3 Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Objectif : donner une nouvelle feuille de route à France 3, en prévision du prochain contrat d’objectifs et de moyens (COM), qui démarre en 2015. Le rapport devrait être rendu public très prochainement.

Pourquoi ce rapport ? Le 10 octobre dernier, le député Stéphane Travert, dans un rapport de la commission des Affaires culturelles, dénonçait « l’absence totale de projet éditorial de France Télévisions pour France 3, et en particulier son offre régionale, et l’absence totale de ce que doit être une chaîne régionale et de proximité ». Il pointait du doigt le coût de ces programmes régionaux : tardivement exposés, ils représentent 11,5 % de la grille nationale de France 3 et pompent 50 % de ses moyens. La faute à un organigramme trop fourni, dirigé par Paris ? La ministre a déjà annoncé que, plan d’économies oblige, tout remaniement de la politique de France 3 se ferait à moyens constants.

L’information, marqueur identitaire de France 3

Thierry Langlois, PDG démissionnaire en avril dernier de France 3, a réussi à enrayer la chute d’audience de la chaîne nationale et à la stabiliser autour de 9,5 % de part de marché. En imposant, aussi, des programmes, à « vocation régionale »… mais décidés de Paris : Des racines et des ailes, Thalassa revisité, ou Midi en France. Un seul hic : ces programmes sont confiés à des boîtes de production extérieures et non fabriqués en interne. Idem pour la fiction ; jusqu’ici, on tournait des histoires en province, mais qu’importe le lieu. Désormais, la notion de territoire prend en compte une dimension régionaliste affirmée, comme dans la série des Meurtres à Rocamadour, Rouen, Saint-Malo… ou dans une série comme le Sang des vignes. Reste l’information. Le marqueur identitaire, par essence, de France 3. Journalistes et techniciens se sentent sacrifiés. On leur demande déjà, dans le cadre de l’entreprise unique, de faire cause commune avec France 2 sur nombre de reportages. Plan d’économies oblige, mais au mépris de l’identité de chaque chaîne. Il est même demandé aux journalistes de jouer l’homme-orchestre : réaliser une interview, tenir le micro, remplacer le perchiste et monter. Aux dépens de la qualité.

Caroline Constant